L’ordre est le plaisir de la raison,
le désordre est le délice de l’imagination.
Paul Claudel
« Ordo
ab chao » disent les alchimistes… L’ordre nait du chaos !
Que le chaos nous apparaisse comme la représentation du désordre est assez facile
à imaginer. Mais que l’ordre puisse naitre du chaos est plus difficile à
comprendre. Disons que le chaos est un ordre qui nous dépasse. Un
« ordre » inconcevable, impossible à appréhender par l’être humain.
L’« ordre »
auquel l’Humain peut faire référence n’est qu’un ensemble de règles liées, unies, qu'il qualifie de droites et qu’il perçoit comme vraies. Entrer dans un ordre (sacré ou
profane) c’est se référer à un ensemble de règles et accepter pour cela, de
leur jurer obéissance.
Les francs-maçons appartiennent à ce qu'ils nomment "des obédiences" qui
possèdent des règles et auxquelles chaque membre jure d’obéir alors que,
paradoxalement, chacun dans son serment d’initiation a promis de rester libre...
Comment peut-on jurer de « rester libre » et accepter d’obéir à un
Ordre ? La franc maçonnerie conduirait-elle à la schizophrénie ?
Les
choses seront peut être plus claires si je dis que le devoir de l’Homme n’est
pas de se plier aux règles : le
devoir de l’Homme c’est d’être la Règle... Ce n’est pas si
compliqué à comprendre, à condition de prendre conscience de trois évidences :
- obéir
est nécessaire à l’établissement d’un ordre humain.
- Ce
que l’humain appelle « ordre » vire toujours au chaos.
- S’initier
c’est accepter de descendre en Enfer. Il faut donc descendre dans l’abîme
du chaos pour pouvoir remonter vers notre propre lumière. [1] Chacun ne pouvant le faire qu'à son rythme.
Entrer dans l’ordre d’une
« Obédience ».
L’époque
post-moderne n’est propice ni à l’ordre, ni à l’obéissance. Sans cesse autour
de nous, des injonctions à la désobéissance nous assaillent. Les slogans de mai
68 résonnent dans nos têtes. 1968 comme toute révolution, inverse les
données : « il est
interdit d’interdire », « sous les pavés la plage ».[2]
Nous
parlons d'ordre alors que le désordre nous entoure : désordre social,
désordre psychologique, désordre politique, mais aussi désordre spirituel….
Rien n’y échappe. Dans nos maisons, nous nous évertuons à « mettre de
l’ordre » et sans cesse nous voyons à l’œuvre le « désordre »
naturel des choses reprendre le contrôle. C’est ce qu’on peut convenir
d’appeler un « cycle universel » à laquelle toute « Obédience[3]», comme tout corps humain, n’échappe pas.
Ordre et désordre produisent le mouvement et donc… la vie.
Les
rites maçonniques enjoignent chaque Maçon d’ériger le Temple dans l’Ordre mais leurs organisations
elles-mêmes n’échappent pas à cette alternance d’ordre et de désordre. Sans
doute est-il illusoire sur cette Terre d’imaginer construire le Temple de l’Ordre[4]… sans doute est-il seulement possible de
tenter de le construire dans l’ordre...
Les
tentatives historiques de mise en ordre du monde se sont toujours soldées par
le plus grand désordre : dans le langage moderne cela se nomme
totalitarismes, dictatures, sectes et gouroutisme … Au plein cœur de la
Révolution Française, la Franc-maçonnerie invente la formule magnifique de « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Idéal superbe qui s’effondrera douloureusement avec le glissement dans… la
« Terreur ».
Si nous
remettons la recherche initiatique au centre de l’ordre que nous recherchons, la
question d’ un « Ordre » obédientiel prend une autre dimension.
Qu’est-ce
qu’un Ordre initiatique ? Pourquoi obéir à un Ordre initiatique ?
Au
cours de son histoire, nous ne surprenons jamais la Franc-maçonnerie
universelle dans un quelconque acte de « désobéissance » à l’ordre
civil. Arriver à construire l’ordre civil (nommée concorde civile) est même
l’ambition affichée des Maçons qui ont fait 1789. Avaient-ils prévu 1793 ?
Je ne le pense pas, certains l’ont payé de leur vie.
S’ils
étaient universellement appliqués, les principes maçonniques conduiraient à l’unité,
non seulement des Maçons mais de tous les hommes.
Le chemin initiatique des Frères révolutionnaires concerne surtout la vie exotérique. Depuis
Jaurès, ils croient au progrès : ce sont de grands spécialistes de
l’ordre social, c'est-à-dire de l’ordre extérieur. Dans l’histoire de France,
nombreux sont les exemples réussis de leur influence bénéfique.
Nous
partageons leur fierté. Cependant, nous Maçons de la vieille Egypte, nous
travaillons à l’Ordre
spirituel des Mondes au nom du Grand Architecte... Qu’est-ce que cela veut dire ? A quelle règle
obéissons-nous ? Notre
initiation concerne notre vie
ésotérique. Nous cherchons à éveiller notre conscience individuelle pour
travailler à notre ordre
intérieur[5]. Un ordre qui dans la solitude du travail,
dans l’égrégore de la loge, dans la communion des agapes aligne et centre
intérieurement le Maçon qui s’y adonne…
Cet Ordre
initiatique complète l’ordre profane. En s’opposant
à lui, il le complète. Si nous cherchons à être « initié » ce n’est certes
pas pour nous abstraire du monde profane... Nous travaillons à mieux nous comprendre pour nous aider à mieux le comprendre. Pour nous la meilleure
façon de travailler à l’ordre du monde c’est d’équilibrer notre ordre
intérieur. En d’autre terme, l’équilibre du macrocosme dépend de l’équilibre du
microcosme. Si les microcosmes sont en équilibre, celui du macrocosme en
découlera. L’inverse nous parait illusoire.
C’est
après avoir constaté que ce que nous appelons l’ordre dans le monde est une
illusion que nous ressentons le besoin d’être initié à « autre
chose » qu’à « l’ordre » profane. Voilà pourquoi tout ordre
initiatique fait réfléchir à l’ordre naturel des choses. C’est ainsi que
l’écologie peut apparaître comme une science initiatique : en étudiant
l’équilibre naturel des écosystèmes, elle nous ramène à l’ordre immémorial de
la vie. Un franc-maçon n’a pas d’étonnement à constater l’engouement que cette
« nouvelle science » provoque dans le public.
La véritable initiation
est un retour irréversible aux règles de l’univers.
Cet volonté
de retour à l’ordre « sacré », chacun de nous l’a décrit avec
ses mots dans les motivations de sa lettre de candidature. Si nos motivations
ont su convaincre les Maîtres de nous ouvrir la porte c’est bien parce qu’ils
étaient d’accord avec le moteur qui en nous, nous a conduit à demander l'entrée
du Temple d’Hermès. Souvenons-nous de notre passage dans le cabinet de
réflexions, les phrases qui y sont inscrites nous rappellent constamment la
vérité qui est à l’œuvre, ce jour là et pour des siècles et des siècles, tout
au long de notre cheminement.
Pour
nous, Maçons d’une obédience hermétique, qui vivons dans un rapport particulier
à l’Esprit, nous savons qu’Il souffle où il veut, quand il veut. Cette réalité que nous vivons comme une évidence
nous apporte un grand recul dans l’examen de l’ordre chaotique qui est à
l’oeuvre dans le monde profane. C’est pourquoi, nous sommes persuadés que cette
franc-maçonnerie dite "hermétique" est plus que jamais adaptée au
monde de demain.
Sans renier la matière, la franc-maçonnerie
spiritualiste obéit (elle se soumet[6])
à l’Esprit. Pour cette Maçonnerie, c’est par sa conscience que l’homme
est relié au divin et c’est
bien sur cette conscience que ces Maçons ambitionnent de travailler. Car, armé
de toute sa conscience, l’Homme peut agir sur
lui-même. Par cette maîtrise acquise sur lui-même, il agit consciemment sur son
environnement : hommes, choses et bêtes. En étant présent à lui-même, il
peut être présent aux autres.
Un
Maçon spiritualiste pense à travailler sa propre pierre avant de prétendre aider
à construire le Temple de son voisin. En d’autres termes avant de voir la
paille qui obscurcit l’œil de son voisin, le maçon d’Egypte prend à cœur
d’enlever la poutre qui aveugle son regard. Ainsi peut-on comprendre que travailler
à la construction de l’ordre du Temple c’est
s’éduquer[7].
Donner une forme est la première règle à respecter pour ériger le Temple[8]. Mais cette forme sans
cesse doit être mise sur le métier. Jusqu’à l’initiation finale, le Maçon
travaille sa pierre. C’est ainsi que mourir et renaître se vivent à l’infini.
La
Maçonnerie spiritualiste travaille en particulier au développement de
l’intuition. L’intuition est un outil qui permet d’approcher ce qui, en nous,
n’est pas uniquement du domaine de la forme. Ce qui en nous n’est pas la forme
se situe à deux endroits opposés et
complémentaires : le cœur et l’esprit. Autrement dit : l’esprit
vit entre intuition et raison.
Remarquons
que la franc-maçonnerie spiritualiste médite sur le symbolisme du triangle,
entre autre celui que forment le corps, le cœur[9] et
l’esprit. C’est au centre de ce triangle que l’Homme renoue avec
ce qui, en lui, dépasse la condition d’homme, la condition du vivant qui doit mourir :
je pense ici à l’éternité, l’infini, la
perfection, l’immobilité : tout ce qui est du domaine de celui à qui seul appartiennent
la puissance et la gloire…
Corps
Fils
Horus
Brahma
Création
Tempéré
Terre
Sagesse
Entre les colonnes
Equilibre (Mâat)
Esprit Cœur (âme)
Père St Esprit
Osiris Isis
Vishnou Shiva
(le bon, celui qui porte bonheur)
Protection Destruction
Chaud Froid
Soleil Lune
Force Beauté
Jakin Boaz
Ordre Désordre
Bien au centre de la Cité, la Franc-maçonnerie
spiritualiste trouve judicieux de rester attentive aux phénomènes qui nous
entourent et nous relient au monde « d’en-haut ». Au plein coeur de
l’horizontalité, il y a une joie particulière à être relié à la verticalité.
C’est ainsi que nous comprenons le symbolisme de la croix.
Dans cette recherche de l’équilibre parfait, la
franc-maçonnerie spiritualiste est en accord avec la quête de l’homme perdu
dans le monde des formes du XXI°s. Ainsi notre recherche dite « initiatique »
peut s’exprimer ainsi :
Ne rien construire sur la croyance superstitieuse,
Tout passer à la magie du crible de
l’Esprit.
Aussi désuète que puisse paraître cette recherche,
elle reste au centre du travail sur la conscience humaine.
[2] Il y aurait une étude
intéressante à faire sur la signification de ces « nouveaux
principes » apparus au cours de la dernière « révolution » que
la France ait connu. Et... sur les mécanismes étrangement semblables de toute
révolution. Mais tel n'est pas notre propos.
[4] Cf : Une méditation
avec René Schwaller de Lubicz qui a écrit successivement « Le Temple
dans l’Homme » et « Le Temple de L’Homme », nous apprendra la
différence. Même pour l’antique civilisation égyptienne cette tentative a
finalement sombré dans le chaos. Sans doute conscients de la finitude de leur
monde, ils nous ont laissé les trace de leurs travaux dans l’ésotérisme de
leurs œuvres monumentales.
[5] Il est intéressant de noter que ce que les musulmans appellent « Grand Djihad »
correspond à ce travail intérieur d’ordre ésotérique, et « Petit Djihad »
renvoit au travail social et politique d’ordre exotérique.
[6]
De même, on remarque que parmi toutes les traductions du mot
« Coran », l’une des plus usitées reste « Soumission ».
[7] Emprunté au
latin ēdŭcāre = qui signifie « former », il est composé de dūcĕre (« conduire », « mener ») avec
le préfixe ex- (« en dehors ») se qui
donne « faire sortir », « mettre dehors ». Eduquer c’est littéralement :
« conduire au dehors » « donner une forme ».
[8] L’appréciation la plus
destructrice que l’on puisse faire d’une œuvre d’art est de dire : c’est informe.
Si l’Art est la matérialisation de pouvoir créatif de l’Homme, dénier toute
forme à une œuvre d’Art tend à la rendre à sa matière initiale : le chaos.
C’est par ce détour inattendu que l’Art moderne nous renvoi à notre expérience
de la spiritualité : quand l’esprit n’a plus de forme comment pouvons-nous
nous identifier à lui ? Lorsque l’Homme ne s’identifie plus à l’Esprit,
l’Esprit n’existe plus pour lui. Nietzsche a exprimé cela par une phrase
lapidaire : « Dieu est mort ».
Il faisait le constat de la déliquescence de l’idée de Dieu comme
référence anthropomorphique. Un monde mourrait, un nouveau siècle s’ouvrait
au même moment, à l’abstraction. L’Art moderne nous ramène à une vérité
camouflée par des siècles de « civilisation » : le principe
créateur n’a pas besoin de s’identifier à une forme humaine pour exister. Ce
principe existe en l’Homme bien avant de se matérialiser dans une forme. Les
artistes comprendront.